"La guerre des ondes"
Chronique nostalgique

La guerre des ondes

Qui n’a jamais entendu parler du canular radiophonique d’Orson Welles ? Le 30 octobre 1938, les auditeurs d’une émission de CBS à NewYork ont cru assister en direct à l’invasion de la Terre par des extraterrestres, et toute la ville s’est mise à paniquer. Et si cette belle histoire n’était qu’une rumeur montée en épingle ?

Ce qui est certain, c’est qu'en1938, Orson Welles et sa troupe d’acteurs, le Mercury Theatre On The Air, ont donné une émission hebdomadaire sur CBS (Columbia Broadcasting System), le lundi soir à 21 h. La compagnie présentait des oeuvres littéraires sous forme d’adaptations radiophoniques, et l’émission réunit plusieurs millions d’auditeurs américains. Se sont entre autres succédé sur les ondes Dracula, L’île au trésor, Le comte de Monte Christo et Sherlock Holmes. Pour la quatorzième émission du 30 octobre 1938, la veille d’Halloween, le choix s’est porté sur le roman de science-fiction The War of the Worlds (La Guerre des Mondes) de l’écrivain anglais H. G. Wells. Cette histoire d’invasion extraterrestre est déjà un classique, mais Orson Welles la trouve difficile à adapter sous sa forme d’origine. Il imagine une astuce de mise en scène : pour dynamiser le récit, il rédige une série de comm u n i q u é s spéciaux d’inf or ma t i o n , laissant croire à un reportage en direct couvrant l’arrivée sur Terre de belliqueux Martiens.

L’émission c o m m e n c e pourtant par une présentation d’Orson Welles en personne qui dit clairement que ce qui suit est une fiction. Il cite le roman et l’auteur qui l’inspirent. Le scénario de l’émission est simple : la fausse retransmission d’un concert (Ramon Raquello et son orchestre à l’hôtel Park Plaza de New York) est fréquemment interrompue par des reporters qui prétendent assister à divers événements. C’est d’abord en direct de l’observatoire du Mont Jennings à Chicago où un certain professeur Farrell prétend avoir repéré des explosions de gaz à la surface de la planète Mars. Un journaliste interroge un astronome de l’observatoire de Princeton, qui confirme l’information. Le drame prend forme progressivement. Un météore semble être tombé près d’une ferme à Grovers Mill dans le New Jersey. Le journaliste Carl Phillips, dépêché sur place, révèle que l’objet n’est pas une météorite, mais un vaisseau de métal dont jaillissent soudain des tentacules qui arrosent la foule de "rayons ardents" mortels. D’autres vaisseaux atterrissent, et, d é t r u i s a n t tout sur leur passage, foncent vers New York. Le doute n’est plus permis, les Martiens envahissent les Etats- Unis, et ni l’armée ni l’aviation ne semblent en mesure de les arrêter…

Les reporters jouent leur rôle à la p e r f e c t i o n . On perçoit l’angoisse, la peur puis la terreur altérer leur voix, ils crient, et le dernier flash est brusquement interrompu par des bruits terrifiants. Un auditeur prenant l’émission en cours a-t-il vraiment pu croire que ces événements extravagants avaient lieu ? La presse du lendemain est sur la brèche. Le Daily News titre « Une guerre fictive à la radio instille la terreur à travers les USA » et le New York Times « Les auditeurs radio paniquent, prenant une fiction guerrière pour la réalité ». Les articles mentionnent des exemples de paniques : citoyens fuyant la ville, tentatives de suicide, fausses couches et scènes de pillage.

Mais en 2005, après l’adaptation de La Guerre des Mondes au cinéma par Steven Spielberg, le sociologue Pierre Lagrange publie chez Robert Laffont La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ?, ouvrage dans lequel il réfute la réalité de cette soi-disant panique généralisée. Si on retrouve bien la trace d’appels téléphoniques inquiets au siège de CBS ou à la police et de quelques faits divers vérifiables, il semble que les années passant, la rumeur ait pris le pas sur la réalité. Selon l’auteur, on est passé de quelques auditeurs crédules isolés à une hystérie collective nationale. Devenue légendaire, l’histoire sert aujourd’hui à illustrer le pouvoir des médias sur les foules. Il est cependant difficile de dire qui sont les plus crédules : des auditeurs de 1938 qui ont cru entendre débarquer les extraterrestres, ou les lecteurs contemporains qui croient qu’une simple émission de radio a pu plonger une ville dans la panique ?



J-B.D.

article paru dans le Républicain Lorrain, le 19 octobre 2008
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