"Soumission"
Michel Houellebecq
Flammarion, 2015

Un avenir terrible et radieux

Les seuls titre et résumé du nouveau roman de Michel Houellebecq ont suffi à affoler le réseau. Dès le mois de décembre, des journalistes aux blogueurs, en passant par d'anonymes auteurs de gazouillis numériques (tweet), l'ont proclamé : le nouvel opus du prix Goncourt serait islamophobe et allait faire peur à la France. Trois cent pages plus tard, l'affligeante bêtise des commentateurs connectés apparaît, sous la lumière d'un roman d'une rare intelligence sociologique et politique, servi par une langue raffinée qui fait du bien à nos cerveaux bombardés par l'illettrisme ambiant.

Dans "Soumission", titre du roman qui est aussi le sens du mot "islam", il n'est pas question de critique de la religion ou de ses fidèles. Il est question de la société occidentale et de son avenir. En 2022, pour faire barrage au Front National, la gauche puis la droite s'allient au nouveau parti de la Fraternité Musulmane et font élire Mohamed Ben Abbès président de la République. Dès lors, les histoires parallèles de François, le professeur de littérature, et de son pays, la France, sont synonyme de soumission. Comme Huysmans en son temps trouvait la sortie du tunnel dans la conversion au catholicisme, François et les français sortent du leur via l'islam. Le professeur se soumet à une conversion de façade contre les avantages financiers des pétrodollars et ceux sexuels de la polygamie. Les élites et les intellectuels font de même. Et partout en Europe le même schéma se reproduit.

L'Occident, laminé par l'individualisme, le libéralisme et l'humanisme, trouve la solution dans la famille musulmane. La polygamie est au cœur du dispositif. Si elle marque la revanche du mâle à la sexualité frustrée par le libéralisme sexuel, la soumission de la femme permet aussi de vaincre le chômage (les femmes cessent de travailler) et d'apaiser le désir sexuel là où le libéralisme l'excitait (les femmes se couvrent de la tête aux pieds). Comme un nouvel ordre naturel animal, l'islam fait de la soumission la règle de l'organisation sociale et, au passage, éradique la délinquance.

Ce dont il est vraiment question ici, c'est de l'abandon de la notion de progrès et de culture au profit de la soumission au réel, à la nature, à l'ordre cosmique. La polygamie est le symptôme de l'islam politique : un véritable retour à la sélection naturelle, qui ramène l'humain à la horde primitive et fait table rase de siècles d'humanisme. Seule la soumission à un ordre supérieur peut rassembler et pacifier les humains.

La pilule sera certes amère aux religieux de tous poils, en ce sens que Houellebecq expose la vérité de tout projet politique religieux. Mais elle sera surtout fatale aux athées et aux défenseurs de la laïcité. La thèse romanesque de l'auteur est terrifiante. Après l'échec de l'ingénierie sociale humaniste, l'Occident se soumettra à l'islam parce que son projet est viable : il ramènera la paix sociale et politique, ainsi que la croissance et le plein emploi. Faites vos (cinq) prières...


J-B.D.

article Le Fictionaute.