"No future?"
Chronique nostalgique

No future ?

En décembre 1976, les téléspectateurs de l'émisson britannique «Today» de Bill Grundy découvrent avec stupeur les Sex Pistols, jeunes sauvageons qui se donnent en spectacle et enchaînent en direct insultes et grossièretés, brisant un tabou du petit écran. Les vieux détestent, les jeunes adorent, c'est le début du mouvement punk.

Aujourd'hui, le punk ne choque plus, il est presque ringard. Son image d'Epinal est une étrange silhouette aux cheveux colorés taillés en crête de coq et rasés sur le côté, aux vêtements déchirés, des épingles à nourrice et des piercings partout dans le corps, des tatouages et des chaînes, du cuir et du jean, et des insanités contre les bourgeois au bord des lèvres. Si ce cliché a servi de déclencheur au mouvement dans l'imaginaire du grand public, il enferme le punk dans une vitrine comme une curiosité et laisse ignorer son impact décisif sur ce qui de viendra la culture alternative aujourd'hui.

Au milieu des seventies, la génération hippie s'épuise, le rock devient grandiloquent, le message "peace and love" et le "flower power" commencent à montrer leurs limites. Aux Etats-Unis, un nouveau genre musical émerge avec des artistes comme Patti Smith, les Stooges, ou les Ramones, qui initient une musique violente et simplifiée, accompagnée d'attitudes provocatrices et anarchistes. Mais c'est dans une angleterre prolétaire frappée par le chômage que le punk explose. Les jeunes des grandes villes industrielles, après le premier choc pétrolier, ne se font plus d'illusions sur leurs chances de voir le monde changer. Bien au contraire, tout leur donne à croire qu'il n'y a plus rien à espérer de leur situation, et leur état d'esprit se traduit par ce qui deviendra le slogan du mouvement punk : «NO FUTURE». Pas d'avenir. Pas de rêves, pas de projets, tout est là bien présent, c'est la misère et ce n'est pas près d'évoluer. Le mouvement punk est une décharge de nihilisme et d'anarchie qui électrocute le milieu culturel dans son ensemble. Il ne s'agit pas seulement de quelques musiciens un peu sauvages, mais bien d'un courant artistique souterrain qui véhicule une rebéllion profonde contre la culture dominante.

Autour de la figure du couple mythique formé par Malcom McLaren, le producteur, et Vivienne Westwood, la styliste, on retrouve les ferments de cette «révolution». McLaren produit les Sex Pistols comme un boys band avant l'heure, en choisissant les personnages bien «destroy» de Johnny Rotten et de Sid Vicious, qu'il incorpore à un groupe inconnu rebaptisé. Il propulse la formation dans les clubs londoniens, et en fait le symbole d'une marginalité dans laquelle se reconnaissent nombre de jeunes désoeuvrés. L'épisode du Today Show est un coup de marketing qui marche à la perfection. En créant le scandale, les Sex Pistols deviennent célèbres et avec eux une esthétique qui doit beaucoup à l'art visionnaire de Vivienne Westwood. On retrouve d'ailleurs tous les accessoires du parfait petit punk dans la boutique Sex de la styliste, à Londres. En associant un style musical, un look vestimentaire, une attitude et une pensée radicale, les punks posent les jalons de la culture alternative, fondée sur le principe des tribus urbaines. C'en est fini de l'unanimité culturelle, désormais la jeunesse explore la sous-culture qui lui correspond le plus. Après les punks viendont les tribus new wave, gothique, métal, grunge, hip-hop, techno, et hard core, chaque décennie apposant sa marque sans effacer celles des précédentes.

Le premier paradoxe du mouvement punk est son origine : un mouvement marginal et anarchiste lancé comme une machine artistique et commerciale, ça la fout mal.. Le second est sa descendance : contrairement à l'affirmation du slogan «NO FUTURE», le mouvement punk a eu un futur en irriguant l'avenir de la culture de masse. Sid Vicious en grince des dents dans sa tombe.



J-B.D.

article paru dans le Républicain Lorrain, le 16 novembre 2008
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