"Un paradis d'enfer"
David Marusek
(Presses de la Cité - 2008)

Le Meilleur des Mondes

Au rayon des jeunes auteurs prometteurs candidats à devenir des étoiles de la SF, l'américain vivant en Alaska David Marusek s'est fait il y a une dizaine d'années une réputation internationale avec seulement quelques nouvelles dont deux traduites en français aux éditions Bélial. Avec la traduction de son premier vrai roman, «Un paradis d'enfer» aux Presses de la Cité, voici venu le temps de vérifier si les promesses étaient fondées.

Chicago, 2134. La ville est sous une canopée qui la protège des nano-engins terroristes qui pullulent dans l'atmosphère. Les "richards" sont les humains dominants, rendus quasi-immortels par les prouesses médicales capables de reconstituer un blessé dont il ne reste que la tête. Leurs intelligences artificielles, nommées "mentars", s'occupent de toutes leurs préoccupations, et des "extrudeurs" synthétisent la matière et produisent nourriture, vêtements et objets. Mais les richards sont une infime minorité. Les autres humains sont pauvres et plus ou moins exploités. Les clones "itérants" sont commercialisés pour leur spécialité : les russ pour la loyauté, les lulus pour le sex-appeal, les jennys maternelles et infirmières, les pike pour le combat, les évangélines pour l'empathie, et ainsi de suite pour des dizaines de modèles. Les "chartistes" forment des familles communautaires articulées autour d'une activité lucrative, luttant pour leur survie collective. On croise aussi dans la rue des "sims", personnages virtuels très convainquants dévolus à la publicité et aux feuilletons grandeur-nature. Toute cette joyeuse agitation est filmée, enregistrée et diffusée en permanence par des "médiansectes", des abeilles-robot, et des limaces bioniques rampent à chaque coin de rue en quête d'un citoyen à échantillonner et à contrôler. Le Meilleur des Mondes !

Le roman est une sorte d'extension d'une nouvelle, «L'enfance attribuée», qui d'ailleurs figure dans le texte in extenso en guise de première partie. Le vaisseau orbital de la riche Eleanor Starke s'écrase sur terre. Seule la tête de sa fille Ellen est sauvée du crash, recueillie dans un casque de support-vie en attendant que son corps soit reconstitué en cuve. Autour de la tête d'Ellen, héritière d'un empire financier et industriel, gravitent des personnages amis et ennemis, dont les histoires se déploient en nous faisant pénétrer au coeur de cette société hypersécuritaire et terrifiante. Au final, un texte qui s'épanouit comme une fleur, à la structure radiale unifiée par une scène finale ébouriffante, irrigué par une virtuosité qui rappelle Alfred Bester, un ancêtre adulé des années soixante. Le novelliste David Marusek s'était fait remarquer, le romancier ensorcèle. Promesse tenue.

J-B.D.

article paru dans le Républicain Lorrain le 13 juillet 2008
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