"Nexus"
Ramez Naam
Presses de la Cité, 2014

Cerveau 2.0

  En 2040, Nexus est une drogue illégale, une nanomachine moléculaire qui s'interface avec les neurones du cerveau et le connecte au cerveau du voisin. Le partage mental fait fureur dans les soirées underground. Mais doté de logiciels adaptés, le nanoréseau neural peut aussi recevoir, stocker, traiter et renvoyer des données, transformant la drogue récréative en biotechnologie redoutable. Les domaines d'applications possibles sont  nombreux : télépathie, apprentissage, communication, développement de l'intelligence, mais aussi contrôle mental, manipulation et asservissement  

Dans son roman "Nexus", Ramez Naam met en scène l'affrontement entre des scientifiques technophiles et naïfs, partisans de cette technologie aux promesses stupéfiantes, et des membres d'agences de sécurité gouvernementales, paranoïaques et technophobes, farouches adversaires de cet outil idéal pour les terroristes et les dictateurs.  

Du point de vue littéraire, ce premier tome d'une trilogie est un roman tout public, écrit dans une langue simple et directe, qui déploye une intrigue technopolitique assez crédible, et effleure des sujets connexes comme les promesses et les risques des technologies émergentes, la responsabilité scientifique, la liberté individuelle face au bien collectif et, plus surprenant, l'apport du bouddhisme à ces questions.  

Mais le propos de l'ouvrage est ailleurs. L'auteur situe sa fiction dans le champ polémique du transhumanisme et du posthumanisme, concepts bien réels irriguant la réflexion épistémologique contemporaine : la prospective, amorcée par la conception de technologies prothétiques pour compenser le handicap des humains diminués, prend la forme du rêve d'un homme augmenté, transhumain, avant de déboucher sur le fantasme de l'Ubermensch, le posthumain appelé à remplacer le pitoyable homo sapiens.  

Ramez Naam, ingénieur informaticien américain d'origine égyptienne, doté d'une expérience en nanotechnologie, est très investi dans la vulgarisation et la prospective scientifique. Son oeuvre de fiction s'appuie sur des expériences bien réelles sur le "cerveau connecté", comme les essais couronnés de succès de prothèses auditives et visuelles, les tests de commande mentale de systèmes robotiques ou les balbutiements de la télépathie connectée. Si la réalité est loin des prouesses imaginaires du fantasme posthumain, la première partie du roman présente avec acuité un questionnement éthique déjà d'actualité. En exagérant les enjeux, la fiction trouve son terrain romanesque, sans perdre l'essentiel de la réflexion éthique.  

Mais ça se gâte après 300 pages, lorsque, par le biais de l'intrigue, l'auteur prend nettement partie, caricaturant les méchants Etats technophobes, et victimisant les braves scientifiques qui ne veulent que le bien de l'humanité. Dans un déchaînement de violence inattendu (qui a des qualités narratives certaines), on voit exploser le débat engagé dans la première partie. Cela ne surprend pas quand on sait que l'auteur milite dans des organisations transhumanistes, mais cela déçoit, Ramez Naam faisant l'économie de la réflexion et de la nuance. Deux volumes sont à suivre et apporteront peut-être ce qui manque à ce premier.  


J-B.D.

article Le Fictionaute