"Laïka, chienne orbitale"
Chronique nostalgique

Laïka, la chienne orbitale

En octobre 1957, l’URSS lance la conquête de l’espace avec le satellite Spoutnik 1. Un mois plus tard, les Russes mettent sur orbite le premier être vivant dans l’espace, la chienne Laïka. Retour sur l’histoire d’un cobaye devenu légendaire.

LA guerre froide qui opposa les blocs soviétique et occidental après la Seconde Guerre mondiale eut bien d’autres aspects que l’espionnage, les escarmouches territoriales et la course aux armements. Sur le terrain des médias et de la propagande, c’est sans doute dans l’espace que se joua la plus exaltante partie d’échecs du XXe siècle. Après le succès de Spoutnik 1, mis en orbite le 4 octobre 1957, Nikita Khrouchtchev est fébrile : il cherche un événement grandiose à jeter en pâture aux médias pour le 40e anniversaire de la révolution bolchevique. L’occasion est trop belle. Le dirigeant donne une nouvelle mission aux ingénieurs et techniciens : construire une version de Spoutnik plus grande et capable de maintenir en vie un être vivant, en l’occurrence un chien, dans le vide spatial. Ils ont quatre semaines pour s’exécuter. C’est le branle-bas de combat !

Pendant qu’on assemble à la va-vite Spoutnik 2, le scientifique Oleg Gazenko a la responsabilité de l’entraînement du premier spationaute de l’histoire. Sa tâche n’est pas mince. Il doit apprendre au "cosmochien" à rester immobile dans une capsule sans ouverture, à boire et à manger de la gelée à la paille, à uriner et à déféquer dans un récipient spécial, et à aboyer en réponse à des stimuli. Parmi plusieurs toutous candidats, c’est une petite bâtarde de fox-terrier âgée de trois ans, trouvée dans une rue de Moscou, qui est choisie. D’un sang-froid hors du commun canin, Laïka apprend tout ce qu’on lui demande et supporte sans broncher les séances de centrifugeuse, destinées à l’habituer aux excès de gravité. Trois jours avant le lancement, Laïka est placée dans une nacelle. On lui branche des électrodes et des capteurs qui doivent recueillir les données biologiques de l’animal et les envoyer sur Terre sous forme de signaux radio. On entendra ainsi les battements du coeur de la chienne, sa respiration, on connaîtra sa pression artérielle et ses mouvements dans la nacelle. Un système rudimentaire de conditionnement d’air est branché, puis la capsule est scellée hermétiquement. Laïka dans son écrin de métal, très calme, ne se doute pas que l’air et la nourriture sont prévus pour une dizaine de jours, et qu’elle part pour un voyage sans retour.

Le 3 novembre 1957, sur le cosmodrome de Baïkonour, Laïka décolle à bord de Spoutnik 2. Ecrasée par le décollage, les battements de son coeur accélérant à trois fois son rythme normal, la petite chienne terrifiée traverse l’atmosphère et devient la première créature terrestre à contempler la planète bleue depuis son orbite. Contrairement à ce que les Russes ont longtemps prétendu, Laïka meurt de déshydratation au bout de cinq heures, victime de la chaleur, tandis que le satellite continue de tourner autour de la Terre à la vitesse de 8,15 km par seconde, à une altitude variant entre 200 et 1 600 km. Depuis, le courageux animal est entré dans la culture populaire : des groupes de rock, des chansons, des produits de consommation et des entreprises portent son nom, elle a inspiré des oeuvres littéraires et a eu de nombreux timbres à son effigie. Elle a ému les ligues de protection des animaux, qui manifestèrent leur indignation devant les conditions de sa mort, ce qui inaugura un débat éthique sur les expérimentations animales. Si son cadavre a brûlé le 18 avril 1958 quand Spoutnik 2 s’est consumé en entrant dans l’atmosphère, son histoire demeure, et on se souvient de l’aboyeuse comme de la première héroïne de l’espace.
J-B.D.

article paru dans le Républicain Lorrain, le 14 septembre 2008
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