"Dans la dèche au Royaume Enchanté"
Cory Doctorow
(Gallimard Folio SF - 2008)

Panique à Disney World

Dans le débat encore brûlant qui oppose les tenants du livre électronique aux amoureux du papier, compliqué par les problèmes de propriété intellectuelle liés à l'usage d'internet, Cory Doctorow a jeté en 2003 un pavé dans la mare. Journaliste et bloggeur reconnu, farouche partisan de la license Creative Commons (http://creativecommons.org) qui permet la diffusion gratuite de contenus sur le web, il publie son premier roman de science-fiction en même temps sous forme papier payante et en téléchargement gratuit sur son site internet. On l'a traité de fou. Ce fut pourtant un succès de librairie et à ce jour, plus de 700 000 personnes ont téléchargé la version numérique.

C'est ce premier roman, «Dans la dèche au Royaume Enchanté», que publie aujourd'hui Gallimard directement en poche dans sa collection Folio SF. Au delà de son importance évènementielle et militante, la popularité de ce petit texte tient avant tout dans sa qualité et son originalité. Cory Doctorow y invente un futur hallucinant où l'homme, libéré de la mort et du travail, mène une vie de loisirs perpétuels, à s'amuser, à passer des doctorats, ou à composer des symphonies. L'adhocratie est la forme politique de cette société future, la «société Bitchun». C'est une méritocratie collective où tout est géré par des groupes d'usagers, et où le consensus, mesuré par la popularité individuelle (le «whuffie»), structure la hiérarchie sociale et remplace l'argent dans les transactions. Julius habite à Walt Disney World, à Orlando en Floride. Il est membre de l'adhoc qui gère les trois attractions du Liberty Square, une zone du gigantesque parc de loisirs : le bateau Liberty Bell, le Hall of Présidents et la fameuse Haunted Mansion. C'est le paradis, mais une certaine Debra et son adhoc ont inventé des atttrations révolutionnaires et débarquent pour rénover le Hall of Présidents. La guerre pour la conservation de la Hauted Mansion originelle commence.

Dans ce futur, le monde se réduit à un parc d'attraction et un manège pour adultes infantilisés est une oeuvre d'art qui mérite que l'on tue pour elle. Une telle dystopie renvoie en miroir l'image exagérée de notre modernité, où l'art se confond avec la «culture», autre nom pour la consommation étendue à tous les domaines de l'activité humaine. Où nous conduisent nos prouesses technologiques? A un univers consensuel dont témoigne entre autres la proto-culture en formation des réseaux internet, à la fois formidable espace de connaissance et poubelle du genre humain. Cory Doctorow, contributeur du célèbre blog Boing-Boing (www.boingboing.net), connaît bien la faune des internautes, fans et autres geek. Ils l'ont sans nulle doute inspiré pour ce roman déjà culte sur la toile, qui associe par la forme un courageux positionnement sur la licence gratuite, et sur le fond une fable cruelle, prémonition d'un avenir qui fera des hommes de grotesques adolescents décérébrés.

J-B.D.

article paru dans le Républicain Lorrain le 07 septembre 2008
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