"Coraline"
Neil Gaiman
(Albin Michel 2003)

Coraline est une petite fille charmante qui vient d'emménager dans une nouvelle maison, avec des étages, des greniers et des caves, un grand jardin avec un puits et la brume autour. Son père et sa mère travaillent à la maison en réveillant leurs ordinateurs, mais tout cela n'est pas passionnant pour une petite fille. Les voisins, un vieux toqué et deux vieilles actrices cabotines, l'appellent Caroline et ne sont pas longtemps intéressants. Alors, Coraline explore…

- Il pleut. Je peux aller jouer dehors ?
- Que dit ta mère ?
- " Tu ne vas pas sortir par un temps pareil, Coraline Jones. "
- Dans ce cas, ma réponse est non.
- Mais je voudrais continuer à explorer, moi !
- Eh bien, explore l'appartement, lui proposa son père.

Et c'est ce que Coraline va faire. C'est comme ça qu'elle trouvera la porte. Une porte qu'ouvre une grosse clef noire, et qui semble murée par des briques. Mais une fois les deux parents absents, Coraline, abandonnée, seule, ouvre la porte et… le mur de brique a disparu. Derrière la porte s'étend un appartement identique au sien, comme en miroir. Coraline passe le seuil et mets un pied dans l'autre couloir. Alors commence son étrange cauchemar...

S'engouffrant sans ambiguïté dans l'héritage d'Alice au Pays des Merveille, Neil Gaiman nous surprend encore et toujours. Ce nouvel ouvrage destiné à la jeunesse est un conte de fées fantastique à la limite de l'horreur, un huis-clos étouffant, lentement empoisonné, et, comme le dit Pullman sur la quatrième de couverture : Coraline est un roman génial. Et Philip Pullman, auteur de la célèbre trilogie pour la jeunesse " A la croisée des mondes ", sait de quoi il parle.

Après le long et inoubliable American Gods, Gaiman, comme à son habitude, change de format, de public, mais reste dans ses thématiques privilégiées, les rêves (ici cauchemars), les réalités parallèles, les mythes, et le rapport onirique et émotionnel à ce qui nous entoure. L'enfant face à ses peurs, c'est un peu chacun de nous. CORALINE est avant tout un récit destiné aux enfants, aux pré-adolescents, voir aux adolescents. On lit dans les interviews américaines que Neil Gaiman refuse de répondre à la question de l'âge de Coraline. Il est aussi aisé de se glisser dans le personnage à tout âge, mais ce sont alors des yeux d'enfants que retrouve le lecteur. Car toute la mécanique de l'ouvrage s'articule autour de la peur de l'abandon, de la lutte et de la victoire contre cette peur.

Lorsque Coraline passe le couloir-miroir, elle trouve un appartement qui est la réplique du sien, le vrai. Et ce qu'elle trouve semble répondre à ses angoisses : l'autre mère, réplique de la sienne, la vraie, a le temps de s'occuper d'elle, de jouer avec elle, de l'aimer. En même temps, l'autre mère fait naître une terreur plus grande chez Coraline, car elle comprend qu'un tel amour, que pourtant elle désirait, ne peut que la détruire. Alors, commence la bataille. Etre courageux, c'est avoir peur mais y aller quand même, apprend-on au passage.

Comme dans une quête initiatique, Coraline va devoir retrouver des objets, explorer des endroits terrifiants pleins de symboles, et l'auteur en profite pour reconstruire un cauchemar singulièrement original sur la base de poncifs divers : les rats qui menacent l'humanité, l'esthétique " poupée et jouets " très efficace dans les récits d'épouvante, le chat allié mais pas trop, l'aventure typique des " maisons hantées " de la cave au grenier, les insectes omniprésents, etc…

Mais si les ingrédients émargent tous au grand inventaire des peurs humaines, la recette, elle, est ingénieuse et raffinée. L'autre appartement que découvre Coraline est le reflet du vrai. L'auteur joue avec talent avec les correspondances, les ressemblances et différences, l'altération que l'un représente par rapport à l'autre. L'autre monde est le monde figé du " pour toujours et à jamais ", et permet à Coraline de découvrir en quoi le vrai monde est vivant et passionnant, même lorsqu'on s'y ennuie, et que la cuisine du papa laisse à désirer.

Un petit livre, une terrifiante aventure et une grande leçon d'écriture. Entrez dans le cauchemar de Coraline, et tâchez donc d'en ressortir aussi bien qu'elle !

J-B.D.

paru sur le site Territoires Alternatifs en 2003