"Transparences"
Ayerdhal
(Au Diable Vauvert 2004)

Pour Stephen Bellanger, psychologue et criminologue québecois qui refuse qu'on l'assimile à un "profiler", le changement de siècle a duré trois ans, le temps d'une enquête sur les franges de la réalité, le temps d'une révélation.

Tout commence le jour où il est embauché à Interpol comme annalyste, avec une mission large et fastidieuse: recenser et recouper des informationns sur les crimes non résolus de ses 20 dernières années en Europe, afin d'en dégager des récurrences significatives... C'est donc en apparence par hasard que Stephen exhume le dossier Ann X, dont les pièces incomplètes ou endommagées le laissent perplexe.

Ann X a 12 ans lorsqu'elle assassine ses parents et un couple de leurs amis qui abusaient d'elle sexuellement, 15 ans lorsqu'elle échappe à la clinique où on l'a enfermée en égorgeant un éducateur un peu collant et en tranchant la main d'un routier un peu trop entreprenant. Arrêtée à nouveau, elle s'échappe quelques années plus tard et disparaît.

Ayant établi le modus operandi de la jeune tueuse, Stephen Bellanger cherche sa trace dans les archives des crimes réstés impunis. Très vite, il met en évidence quatre affaires qui lui ressemblent. Mais le dossier se complique à mesure qu'il s'épaissit.

Non seulement le nombre des meurtres "attribuables" à Ann X augmente, mais cette dernière semble rien moins que transparente! Les gens qui la croisent ne la remarquent pas, ceux qui la rencontrent ne s'en souviennent pas, jusqu'aux caméras de surveillance invariablement myopes qui ne gardent de son visage qu'une image floue.

Et puis il y a Michel, SDF, le seul ami de Stephen, qui lui aussi à sa façon est transparent au regard des contemporains qui défilent devant son banc. Le titre l'énonce clairement, c'est à la transparence dans toutes ses dimensions que le criminologue va devoir se frotter, pour triompher des apparences trompeuses de l'incroyable affaire qui l'atttend.

Sans totalement délaisser la SF dans son sens de Fiction Spéculative, Ayerdhal s'en éloigne cependant pour nous offrir son premier roman sur toile de fond contemporaine, habile mélange de thriller, de polar et de roman d'espionnage. Le personnage d'Ann X rappelle à la fois la Nikita de Besson, l'Elyia Nahm d'Ayerdhal dans le cycle Cybione, ou les héroïnes tueuse de Dantec. Le récit, lui, renouvelle les genres auxquels il se réfère en faisant d'une intrigue remarquablement maîtrisée le cadre d'une ambitieuse réflexion sur le pouvoir, la manipulation, la violence politique, et le rôle des individus dans ces machines à broyer les êtres que sont les institutions.

L'auteur nous avait habitué à la virtuosité de sa politique-fiction dans des contextes imaginaires, il montre avec ce nouveau roman l'efficacité de son regard sur une époque bien réelle et nous donne à voir le monde moderne et ses horreurs par un biais inattendu. Lorsque les mots cessent, des avions s'écrasent sur des tours et Stephen Bellanger entre dans le vingt-et-unième siècle en nous conviant à le suivre avec ce terrible avertissement: "Le passé est un prologue"

J-B.D.

paru sur le site Territoires Alternatifs en 2003